Glossophobie : comment vaincre sa peur de parler en public après 40 ans ?


Auteur : Julien Gourdon
Catégorie : Sport et santé
La glossophobie toucherait 75% de la population mondiale.
La glossophobie toucherait 75% de la population mondiale.

Sensation d’asphyxie ? Coeur qui bat la chamade ? Bouche pâteuse ? Mains moites ? Jambes flageolantes ? Envie de crever dès qu’il s’agit de prendre la parole en public ?

Bienvenue dans le monde merveilleux des glossophobes !

Parce que rassurez-vous. Vous êtes loin d’être les seuls. Des études mentionnent que les trois quarts de la population mondiale souffrent, ou a souffert, de l’un des symptômes de la glossophobie. C’est l’une des peurs les plus répandues dans le monde.

Quelle est l'origine de la peur de parler en public ?

Cette peur n'a pas d'origine réelle, mais découle de craintes ou d'anxiétés qui se sont formées pendant l'enfance ou la première adolescence (mais qui ne sont pas nécessairement liées à la prise de parole proprement dite). Les personnes souffrant de cette peur ont tendance à être extrêmement anxieuses de ce que les autres pensent d'elles lorsqu'elles parlent en public, et peuvent même ressentir le besoin de dire à l'avance aux autres ce qu'elles vont dire afin de calmer leurs nerfs avant de monter sur scène, ou pour essayer de s'assurer qu'elles ne disent rien d'embarrassant ou de faux ; elles pensent également qu'elles sont mauvaises pour faire des discours et préfèrent laisser les autres se présenter plutôt que de prendre l'initiative dans de telles situations, bien qu'elles finissent parfois par parler quand même en raison de la pression des pairs ou parce que quelqu'un d'autre prend l'initiative devant un public ; Ces patients se surprennent souvent à s'excuser abondamment après avoir prononcé un discours, alors qu'ils n'avaient aucune raison de s'excuser, et à croire qu'ils se sont ridiculisés devant toute la salle. Certaines de ces personnes peuvent également souffrir d'anxiété sociale, ce qui signifie qu'elles deviennent nerveuses rien qu'à l'idée de parler aux gens, en particulier devant un public, et sont submergées par des sentiments d'insuffisance et de doute de soi.

Ma peur de m'exprimer devant les autres remonte à l'adolescence

Si je connais très bien les symptômes de la glossophobie, ils se sont heureusement largement atténués avec le temps. Ça n'a plus rien à voir avec ce que j’ai pu connaître à l’adolescence.

Le collège, c’est la pire période de mon existence. La pire, notamment parce que je me retrouve dans l’incapacité totale de prendre la parole en classe. C’est un phénomène totalement nouveau pour moi, que je ne soupçonnais même pas, qui n’était jamais apparu dans mon enfance, et que je prends en pleine gueule. Au collège, je rougis constamment dès qu’un prof m’interroge en classe, j’ai les mains trempées par la peur qu’on me demande de prendre la parole, et surtout, j’en suis totalement incapable.

Mon cœur bât tellement fort, mon souffle est tellement haletant, ma respiration tellement rapide, que je n’arrive à bredouiller que quelques mots.

Mais le summum de l’horreur je le vis lors d’un cours d’histoire, en 4ème. Comme ça arrive souvent, la prof demande à un élève au hasard de lire un texte à voix haute. Ça tombe sur moi. Il faut savoir qu’au collège, pour échapper à l’humiliation de bégayer devant mes copains, j’ai élaboré un plan, un stratagème. Je simule un fou rire.

Ma stratégie fonctionne à la perfection ce jour-là, puisqu’après avoir attendu une dizaine de secondes que je veuille bien me calmer, la prof perd patience et demande à mon voisin de lire à ma place. Mais avant de le faire, et je ne m’y attendais absolument pas, elle me couvre des mots les plus blessants devant toute la classe.

Pourquoi tant de haine ?

Peut-être parce qu’il s’agissait d’un texte sur l’extermination des Juifs lors de la seconde guerre mondiale. Alors que mon but était simplement d’échapper à la honte d’être incapable de lire à voix haute, la prof a cru que la Shoah était la cause de mon fou rire.

Ça fait mal. Ça fait très très mal.

Aimer se sentir écouter dans l'enfance

Et pourtant, quand je suis enfant, m’exprimer devant du monde n’est pas un problème. Au contraire, être le centre de l’attention est un plaisir immense. Que ce soit devant mes copains ou face à des adultes, j’adore me sentir écouter.

J’ai un souvenir très net à l’âge de 7 ou 8 ans. Je suis en classe de CE2 et la maîtresse me demande de résumer un petit livre que je viens de lire pendant le temps de lecture. Ce qui m’a particulièrement marqué ce jour-là, c’est la qualité du silence pendant que je parlais de ce livre. Dans mon souvenir, on pouvait entendre les mouches voler. La cloche s’est malheureusement mise à sonner avant la fin de mon histoire. Mais ce que je n'oublierai jamais, c’est que ma maîtresse a souligné que c’était dommage que je sois obligé de m’arrêter, tellement les élèves semblaient suspendus à mes lèvres.

Ne pas oser parler devant du monde gâche la vie

Mais voilà, le temps béni de l’enfance ne dure qu’un temps. Et à l’adolescence, tout est radicalement différent. Le corps qui change, les premiers boutons sur le visage, les premiers complexes, les premiers émois amoureux, les premières questions existentielles, et chez moi, une timidité qui devient quasi maladive et qui ressemble à un enfermement.

Avoir peur de m’exprimer en public, ça m’a gâché la vie.

Parce qu’ado, il n’y a pas que devant du monde que j’ai peur de prendre la parole. Il y a devant les filles aussi.

Lorsqu’une fille me plaît, je deviens muet. Ou bègue. Un jour, je réussis comme par miracle à obtenir le numéro de l’une d’elle au cours d’une fête chez un ami. Cette fille me plaît. Quelques jours plus tard, je prends mon courage à deux mains. Je l’appelle. La sonnerie retentit. Une fois, deux fois, trois fois… Le répondeur se déclenche. Après le bip, c’est à moi. Mon Dieu je n’ai pas le choix. Je dois lui parler. Mais je ne peux pas lui parler. J’ai le souffle coupé. Ces maudits mots qui ne veulent pas sortir. J’ai la voix qui tremble. Je bégaye quelques syllabes incompréhensibles. J’ai honte. Je raccroche. Tout a été enregistré. Bien-sûr, la fille ne m’a jamais rappelé.

Mais cet enfermement que je vis à l’adolescence, c’est peut-être paradoxalement ce qui m’a sauvé la vie. Ne sachant pas parler, je me plonge dans les livres, puis rapidement, l’envie d’écrire se manifeste. Tout ce que je n’arrive pas à dire, je le couche sur papier. Ça donne des poèmes adolescents un peu claqués au sol sans doute, mais ça me permet de développer un goût prononcé pour les mots. Écrire me donne l’opportunité de prendre le temps nécessaire pour choisir le mot juste. Tout ce que je ne sais pas faire à l’oral…

Et les années passant, je commence à caresser le rêve de faire de l’écriture mon métier. Je deviens journaliste en presse écrite. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.

Je crois que j’ai besoin de prendre une revanche sur mon adolescence. Je veux qu’on écoute ce que j’ai à dire, comme dans mon enfance, dans cette classe en CE2.

Le hasard faisant bien les choses, je découvre un beau jour qu’un atelier de slam est organisé au théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines. L’objectif de l’atelier est de déclamer son slam sur scène un beau soir. Je n’ai pas pris de risque. J’ai écris un texte très court, d’une minute à peine. Au cas où l’expérience est douloureuse et humiliante, je me dis qu’au moins elle passera vite.

Le grand soir arrive. Le théâtre est rempli. Je monte sur scène. J’ai évidemment très peur. Vais-je avoir le souffle coupé comme lors de mon adolescence ? Et c’est alors que le miracle se produit. Au moment où je prononce le premier mot, la peur se transforme en plaisir. Pourquoi ai-je écrit un texte si court ? Je réussis à le déclamer jusqu’à la fin sans hésitation, sans bégaiement. Le public applaudit.

Une peur de s'exprimer en public qui ne partira pas mais dont on peut s'accomoder

J’ai compris ce jour-là que ma peur de parler en public ne disparaîtra jamais. Mais qu’en étant bien préparé, en ayant répété suffisamment de fois mon texte avant de prendre la parole, j’étais capable de le faire. Y compris devant plusieurs centaines de personnes.

Et une quinzaine d’années plus tard, c'est-à-dire il y a quelques mois à peine, je participe à un concours d’éloquence. Le but est de défendre pendant 5 minutes devant un jury une position sur un sujet imposé.

Je franchis plusieurs tours jusqu’à me retrouver en finale sur la grande scène de l’Olympia. Il y a 1 000 personnes dans la salle. La peur est là, bien présente. Toujours le même doute. Et si les mots restaient bloqués dans la gorge ?

L’animatrice prononce mon nom. C’est mon tour. Je m’avance sur la scène. Avec les balcons, on a l’impression que le public va littéralement nous tomber dessus. Je prends une grande inspiration. Je m’élance, avec cette promesse que je me fais à moi-même…

Plus jamais la peur de m’exprimer en public ne viendra me gâcher la vie.

Publié le 15 mai 2022 16:47